Sous le niveau des mers (Juin 2023)
Etendue dans la prairie sèche du causse Méjean, je me berce aux vagues de graminées, aux ondulations des pâles cheveux d’ange, à la lumière crue de l’été. J’ai des fleurs et des insectes partout, je suis habitée et habitante. Je suis sous le niveau de cette mer végétale, sous le niveau d’excitation d’un quelconque désir, sous le niveau d’attention d’une brebis qui rumine. Je les entends paître à proximité mais aucune image ne se forme, pas de représentation, pas de concept, pas d’idée. Je suis le vent dans les graminées. J’ai envie de l’été.
Cerdagne (Août 2023)
Passé la journée à explorer des chemins creux bordés de saules, parsemés de frênes et de bouleaux, et flanqués de murets en grosses pierres de granit clair. On s’y sent comme dans un « arrière-pays », une vallée d’altitude austère, même lugubre par endroits, où se mêle la vie foisonnante et méridionale qu’on retrouve dans les Alpes de Hautes Provence de Jean Giono, à des prés détourés de chemins creux.
J’ai mis du temps à m’imprégner de la géographie du lieu, de sa logique. En quittant l’axe routier principal très bruyant, je découvre un étagement de prairies fleuries sur des terrasses de granit aux murets bâtis de gros blocs généreux. La prairie est garnie d’insectes qui font un boucan pas possible, les rivières de montagne dévalent de toutes part et retentissent continuellement dans les prés. Il y a ici des vaches et des ruches à en faire pâlir un Massaï. Indéniablement un endroit très vivant.
Littoral vermeil (Juin 2024)
C’est le bruit du ressac qui m’attrape. Je m’étais assoupie sur la plage. Et j’entends maintenant la mer comme un refrain, qui s’empare de mon esprit et le vide littéralement de toute autre idée. Plénitude salée. Je fais par la suite de longues brasses à l’encontre du clapot qui m’aiguillonne le visage. La plage est presque déserte, l’eau est encore trop fraiche pour les locaux, mais rien de comparable avec un lac d’altitude.
[…]
Avec un brin de fenouil sauvage à la bouche, j’empreinte ensuite le sentier côtier et je ressence les fleurs que je connais : fenouil et mauve sauvage en tête. Mais aussi, un géranium arbustif qui atteint ma taille, du silène commun qui fait ses petites cloches délicates à l’extrémité de dentelle blanche, des griffes de sorcière, de la ronce, du chèvrefeuille, de la roquette sauvage et du plantain, de la luzerne arborescente époustouflante dans son habit fleuri, de la roquette sauvage et du liseron, de la vigne, des tamaris, et une ombellifère sublime aux fleurs ténues et serrées les unes aux autres, d’un rose délicat détouré de blanc, et d’une vingtaine de centimètres de diamètre. La tige évoque de l’angélique sauvage mais je ne trouve aucune trace d’une telle possibilité dans mon guide des fleurs méditerranéennes.
[…]
Au réveil, mon désir se confirme : je veux être au ras de l’eau, les narines pleines d’iode, les oreilles pleines de cris de mouettes, et les yeux plein du scintillement du soleil sur la mer. Le littoral grenat et ses mille et unes fleurs sont tout en beauté printanière, la minéralité est partout, jusque sur la robe d’une couleuvre à collier étendue sur la plage, l’aridité est dans chaque feuille, chaque millimètre de sol.
Myrtilles (Août 2024)
Sur la sente qui surplombe l’étang d’Izourt, je fais plusieurs arrêts ‘myrtilles’. Je ramasse chaque baie entre le pouce et l’index, en compagnie des épeires. Ces araignées affectionnent visiblement les lieux et tissent des toiles de très grande taille tous les mètres. Les fils épais résistent sur mon genou comme une fétuque coincée dans une roche. Quand l’araignée se sent trop menacée, elle quitte promptement le centre de sa toile et s’élève vers le point d’attache le plus haut. Ce dernier lui donne accès à une anfractuosité de roche ou à une cachette confectionnée maison, lorsque par exemple, elle enroule quelques feuilles de myrtilles de ses épaisses ligatures. Je rencontre deux espèces dont je ne connais pas les noms ; l’une est orange vif, l’épeire potimarron, et l’autre est en damier plus classique, l’épeire des dames – c’est ainsi que je les prénomme.
Il m’a fallu une heure trente de cueillette pour remplir une poche contenant l’essentiel de la tarte aux myrtilles que je veux confectionner le lendemain ; un dessert à partager avec mes futurs colocataires. A la descente, le chemin manque d’ombre. Je repère bien en aval du barrage un groupe de jeunes bouleaux sous lesquels je découvre un filet d’eau, à peine, mais de la bruyère en fleur et des œillets sauvages ébouriffés. Deuxième groupe de bouleaux plus bas, cette fois, il y a un ruisseau dans lequel je peux tremper mes pieds jusqu’à la cheville. Je suis fatiguée. Je m’arrête les pieds dans l’eau, au milieu des chardons et des brachypodes, des trèfles, des genêts, des fougères… il y a tous les étages montagnards réunis à cette altitude. Et un groupe de mésanges à longue queue.